Les Faits

La Collectivité Territoriale de Martinique a lancé le 30 novembre 2018 une consultation pour l’adoption d’un drapeau, en vue des rencontres sportives, culturelles et à l’international.

Plusieurs étapes sont prévues :

• Le recueil des propositions,

• La sélection de 3 propositions par une commission de sélection,

• Une consultation populaire pour donner aux Martiniquais la possibilité d’exprimer par Internet leur préférence,

• Le choix final par le Président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique qui, conformément à l’article 5 du règlement de cette consultation « choisira le drapeau définitif sur la base de l’avis du comité technique de sélection sur les 3 premiers candidats. Le Président du Conseil exécutif procèdera librement au choix final. L’avis exprimé par la population figurera parmi les éléments d’appréciation. »

Mes sentiments

D’abord, avant l’étude du règlement, je ressens un sentiment de satisfaction en constatant que l’idée de participation citoyenne progresse et que des idées que j’ai eu l’occasion d’exprimer

http://www.oejm.net/actualite/processus-participatif-sincere-transparent-pour-doter-la-martinique-dun-drapeau/

http://www.martinique.franceantilles.fr/opinions/tribune/drapeau-des-quatre-serpents-contre-drapeau-rouge-vert-noir-423071.php

sont, en partie, partagées.

Ensuite, après lecture du règlement de la consultation -

(http://www.collectivitedemartinique.mq/wp-content/uploads/2018/11/Drapeau-%C3%A0-linternational-R%C3%A8glement-de-consultation.pdf) -

je suis gagné par un sentiment de colère et de déception face à ce que je perçois comme une instrumentalisation de l’idée de participation citoyenne.

Je suis déçu parce que l’identité des personnes composant le comité de sélection n’est pas précisée, pas plus que les critères de recrutement de ces personnalités. Qui sont les personnes composant ce comité ? Quel est leur degré de liberté ou de dépendance vis-à-vis du Président du Conseil Exécutif ? Ces informations ne relèvent pas du détail. Nous sommes ici plus proche de l’opacité que de la transparence. Trop souvent les dispositifs dits de démocratie participative sont biaisés et opaques alors que la participation citoyenne exige sincérité et transparence.

Je suis déçu parce que la consultation est, selon le site web de la CTM, réservée aux seuls usagers d’Internet. Malgré un taux de pénétration élevé (79%) d’Internet sur notre territoire, il existe encore une grande partie de notre peuple qui n’en a pas l’usage régulier et qui serait exclue de cette consultation . Par ailleurs dans une démocratie qui ne reconnaît pas encore le vote électronique, celui-là revêt une moindre légitimité qu’un vote physique. Il est aujourd’hui techniquement et logistiquement possible d’organiser une grande consultation populaire qui allie la légitimité du vote physique à l’intérêt du vote à distance (notamment pour les Martiniquais résidant dans le reste du monde et les résidents en situation de mobilité réduite). Pourquoi ne pas s’être donné le temps de le faire, en s’appuyant sur les équipes municipales pour les opérations de vote et sur les associations et les collectifs intéressés de façon à créer les conditions d’une grande adhésion au processus global et d’une grande légitimité de la décision retenue ?

Je suis déçu parce que le drapeau Rouge Vert Noir qui suscite l’adhésion d’un nombre croissant de citoyens et d’acteurs des sphères politique, culturelle et sportive pourrait être écarté par l’article 9 du règlement qui stipule que « Le participant déclare qu’il est l’auteur de son drapeau, qu’il est issu d’une création originale et qu’aucune partie de celui-ci ne fait partie d’une œuvre préexistante. »

Je suis surtout très en colère parce que la décision ne revient pas au peuple. Selon ma compréhension du concept de participation citoyenne, les participants débattent, confrontent leurs points de vue et décident du choix final. Quand, en tant que citoyens ordinaires sous somme engagés dans un processus participatif sincère et transparent, NOUS participons et NOUS décidons.

Ici, dans le cas de la consultation sur le drapeau, le message délivré est clair et décourageant : NOUS, citoyens ordinaires, NOUS sommes invités à participer et UNE personne décide « sur la base de l’avis du comité technique de sélection ». Notre avis, facultatif, figure « parmi les éléments d’appréciation » de la décision finale. Sur l’échelle qui va de l’arbitraire vertical à l’horizontalité participative, ce dispositif, tel qu’il est présenté à ce jour, se rapproche plus de l’arbitraire que du participatif.

Mes besoins

Je suis déçu et en colère parce que j’ai besoin de considération. En tant que citoyen ordinaire, J’ai besoin que la relation de Parent-Enfant, ou de Maître-Elève, que certains représentants élus de notre démocratie cultivent encore entre élus et citoyens, se transforme en un dialogue d’Adulte à Adulte. J’ai besoin que nos représentants nous fassent confiance et considèrent les citoyens comme des auteurs valables et capables de notre société dignes de prendre une décision comme le choix d’un drapeau.

Je suis déçu et en colère parce que j’ai besoin de clarté et de sincérité en matière de participation citoyenne.

Il est ici important d’apporter quelques précisions sur cette notion de participation citoyenne qui est de plus en plus souvent évoquée dans les discours politiques mais bien souvent galvaudée.

En 1969, la consultante américaine Sherry Arnstein a distingué 3 grands niveaux de participation des citoyens aux projets les concernant. Cette « échelle de la participation » est utilisée par des observateurs pour analyser la manière dont les pouvoirs publics informent les citoyens et leur permettent de participer aux prises de décision :

Sherry Arnstein classe les dispositifs de participation citoyenne sur une échelle de 3 grands niveaux :

1. La Non-Participation : il est donné au citoyen l’illusion d’être impliqué dans le processus de décision (manipulation) ou il est considéré comme inapte à prendre la décision et doit donc suivre un traitement de conscientisation (thérapie).

2. La Coopération Symbolique : les citoyens peuvent donner leur avis…sans qu’il en soit tenu compte.

3. Le Pouvoir Effectif des Citoyens : le pouvoir de décider revient aux citoyens

A l’aide de cet outil d’analyse de Sherry Arnstein, il me semble que cette consultation sur le drapeau présente des aspects de Non-Participation (Manipulation) et de Coopération Symbolique (Consultation et Conciliation)

Je suis tenté de dire que cette consultation est une nouvelle occasion perdue de faire peuple et de jouer vraiment collectif en Martinique. En l’absence d’urgence, nous aurions pu prendre le temps de de féconder le passé (en valorisant le drapeau rouge vert noir) et le présent (en intégrant les énergies, les créativités et les intelligences d’aujourd’hui) pour exprimer notre présence au monde et nous projeter dans l’avenir sur un mode collaboratif et positif.

Je note toutefois les progrès effectués depuis l’appel à projets pour le logo de la Collectivité Territoriale de Martinique en 2016. Dans cette opération du choix du logo, en 2016,il n’a jamais été question de consulter le peuple : une fois les candidatures reçues, une commission technique, dont la composition n’a pas été ou très peu communiquée, a délibéré dans la plus grande discrétion pour choisir le logo actuel de la CTM.

Nous avons donc progressé et le chemin nous menant vers le pouvoir effectif des citoyens est encore long.

Ma demande

J’invite donc nos élus de la Collectivité Territoriale, les élus des autres collectivités de Martinique et leurs conseillers à poursuivre leurs efforts pour nous proposer des démarches de participation citoyenne inclusives, ambitieuses, sincères et transparentes qui renforceront le pouvoir effectif des citoyens et contribueront à animer une Martinique collaborative et positive.

Olivier Ernest JEAN-MARIE

Citoyen

Le 10 décembre 2018

 

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