Par ces temps de défiance et de crise de la représentation politique il est permis de s’interroger sur ce que signifie le vote aujourd’hui dans nos sociétés et singulièrement en Guadeloupe.

Dire que le vote est un rite démocratique qui permet à l’électeur de choisir ses représentants et d’exprimer ainsi sa part de souveraineté participe d’une vision idéalisée de l’élection.

En réalité peu d’électeurs se prononcent par conviction, ce qui confère à leur acte une diversité de sens où se mêlent le plus souvent rationalité et émotions.

Pour la science politique, le vote est moins un résultat qu’un processus. Autrement dit, il convient de s’intéresser à tout ce qui précède et suit le décompte des suffrages pour saisir la signification du vote. En Guadeloupe la campagne électorale est révélatrice de comportements singuliers et donc d’une culture politique qu’une simple approche statistique ou juridique occulte.

De toutes les consultations, l‘élection municipale est certainement la plus intéressante pour comprendre le rapport des citoyens au pouvoir. C’est l’élection la plus populaire, celle qui déclenche le plus de passions. Les taux de participation l’attestent. En moyenne plus de 60% des citoyens se rendent régulièrement dans l’isoloir municipal. Si le niveau de violence physique a diminué lors des campagnes électorales, les violences verbale et symbolique restent encore élevées. Les propos sur la vie privée et notamment sur les orientations et les comportements sexuels des candidats et de leurs proches sont fréquents. Les doutes sur leurs capacités intellectuelles et leur probité sont partagés sans modération. La violence s’exprime autant sur le fond que dans la forme du message. Les tracts anonymes, les graffitis semblent désormais désuets face à l’usage de plus en plus fréquent et sulfureux des réseaux sociaux. Les contenus souvent irrespectueux cherchent à déstabiliser l’adversaire. La dérision et la stigmatisation sur whatsapp sont dorénavant des armes privilégiées dans ce qui s’apparente à une véritable guerre. En Guadeloupe, plusieurs communes dont une en particulier concentrent toutes ces caractéristiques. Sur les réseaux sociaux, elles sont devenues de vrais laboratoires des passions électorales.

Si les lieux de la confrontation se diversifient, il faut reconnaître cependant que traditionnellement, aux Antilles, la scène politique municipale a souvent été d’une grande violence.

De toutes les consultations, cette élection est vraisemblablement la moins idéologique. Les motivations des candidats et des électeurs en témoignent. Sur ce terrain la Guadeloupe ne fait pas exception.

Le candidat n’avouera pas qu’il se présente pour satisfaire son égo ou assouvir sa soif de pouvoir.

L’électeur déclarera rarement que son vote ainsi que celui de sa famille et de ses proches est aussi son offre dans la transaction symbolique qu’il conclue avec celui qui lui promet des avantages de toutes sortes en cas d’élection.

Sans en faire un phénomène généralisé, en Guadeloupe, le clientélisme est le prolongement de cette relation personnelle qui se noue entre l’électeur citoyen et le candidat élu.

Cette relation solidaire et en l’occurrence individualiste, est une des modalités de la régulation de la société et de la vie politique locale. Elle permet d’appréhender les conséquences collectives d’une transaction personnelle.

En effet, comment expliquer que certaines communes donnent le sentiment d’une absence de projet collectif voire d’un abandon de la population et que leur maire candidat soit régulièrement réélu ?

La réponse est que le sens du vote est varié et que ce qui ce qui à nos yeux relève du contresens n’est en réalité qu’un autre sens.

Janvier 2020

Fred Reno, Professeur de science politique

Directeur du CAGI
 

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